C’est à 4 heures du matin du 24 avril 1965 que Che Guevara arrive au maquis de Kabila dans la localité Kibamba dans la région de Fizi-Baraka. La révolution congolaise se trouve déjà dans une situation de crise profonde, après les opérations militaires d’octobre – décembre 1964 entreprises par les mercenaires blancs, sud-africains, rhodésiens, allemands etc., encadrés par des officiers belges et américains.
L’histoire du Che au Congo est à la fois pathétique et héroïque.
Pathétique, parce que l’entreprise était condamnée à l’échec dès le départ.
En débarquant au Congo, Che et ses compagnons ont projeté sur le Congo, leur propre l’expérience des luttes révolutionnaires à Cuba et en Amérique latine. Or, depuis plus d’un siècle, depuis Bolivar, de grandes luttes révolutionnaires ont marqué l’histoire de ces pays. Alors que le Congo n’était qu’au tout début de sa lutte de libération…Les Cubains mesuraient en quelque sorte une première expérience toute fragile au Congo, à leur longue expérience de la révolution qui couvrait plusieurs générations…
Des malentendus énormes étaient inévitables entre des Congolais sans la moindre expérience révolutionnaire, sans organisation, sans idéologie, sans références et ces Cubains, révolutionnaires professionnels endurcis dans la lutte clandestine et dans la lutte armée…
Héroïque, parce que Che et ses compagnons ont donné un exemple de solidarité révolutionnaire, de dévouement, d’humilité, de détermination à découvrir les authentiques révolutionnaires congolais et à les aider de toutes les façons possibles.
Les efforts du Che et de ses compagnons ont été héroïques, mais aussi : fructueux.
Les graines qu’ils ont semées ont poussé. Deux ans plus tard, elles ont déjà commencé à donner des fruits. Nous parlons de la fondation du Parti de la Révolution Populaire, le 24 décembre 1967 à Hewa Bora. Et l’arbre cubain a finalement, 31 ans plus tard, donné une récolte presque miraculeuse.
Nous parlons de la victoire de la guerre de libération, le 17 mai 1997…
- Servir le peuple, enseigner inlassablement la révolution au peuple
C’est la première leçon que nous retenons de l’action révolutionnaire du Che au Congo.
A son arrivée au Kivu, Guevara a été accueilli dans une guérilla caractérisée par la désorganisation, le règne de petits chefs locaux, l’absence de discipline et de combativité,
Au Congo depuis six semaines, Guevara écrit ceci: «Il y a le manque général de cadres d’un niveau culturel approprié et d’une fidélité absolue à la cause de la Révolution. Il y a une prolifération de chefs locaux ayant chacun leur autorité. Il n’y a pas de discipline dans les unités, elles sont contaminées par l’esprit de clocher.» (p.125) « Indiscipline, désordre, ignorance des règles du combat les plus élémentaires, carence de combativité et d’autorité des dirigeants ». (p.158)
Quarante années après l’arrivée du Che, les faiblesses de la révolution congolaise sont toujours les mêmes : manque de cadres d’une fidélité absolue à la révolution, esprit de clocher, chacun préférant être chef dans son petit fief, plutôt que d’être membre d’un ensemble national hiérarchisé et discipliné…
Che Guevara a été frappé par les différences de classe dans la société congolaise où, selon certains, il n’y aurait pas de lutte de classes. Che note : « Dès les premiers instants, nous ressentîmes une franche division: aux côtés de gens très peu éduqués, majoritairement paysans, on en trouvait d’autres avec une culture supérieure, un habillement distinct, une meilleure connaissance du français; entre ces deux groupes d’hommes, la distance était absolue. » « L’Armée de libération recevait des renforts, sous forme de contingents entraînés en Chine et en Bulgarie. C’étaient des cadres entraînés par la Révolution, ils ne pouvaient pas se risquer au combat, cela aurait été irresponsable; non, ils venaient déverser sur leurs camarades la montagne de connaissances accumulées en six mois d’études théoriques, mais on ne pouvait commettre le crime de lèse Révolution consistant à les envoyer au combat. » (92)
« Les ‘cadres’ avaient effectué des séjours d’étude à l’étranger, et la Révolution leur devait beaucoup, elle devait leur rembourser, maintenant qu’ils venaient faire le sacrifice d’être avec leurs camarades. Ils n’ont presque jamais participé au combat. Ils ont formé des organisations politiques parallèles, qui se disaient marxistes-léninistes mais ne servaient qu’à accentuer les divisions. Ce genre de révolutionnaires ne cultivaient que l’ambition d’obtenir un poste de direction grâce à leurs colossales connaissances. Et au front, ils regrettaient le bon, temps passé à l’étranger. »
Guevara est aussi frappé par la misère effroyable des paysans qu’il trouve patriotes, courageux et chaleureux. Mais ces mêmes hommes, lorsqu’ils entrent dans l’armée de libération, « se transforment en soldats indisciplinés, paresseux et sans combativité ».
Pour Guevara, une armée révolutionnaire est au service des masses paysannes, elle doit tout faire pour être autosuffisante. Mais lorsqu’il demande à un combattant congolais de transporter des marchandises, il reçoit la réponse: « Mini hapano motocari », ce qui signifie : « Je ne suis pas un camion, moi!» (p.119)
La conclusion du Che : «L’Armée Populaire de Libération est une armée parasite caractérisée: elle ne travaille pas, ne s’entraîne pas et ne lutte pas. »L’arme donne du pouvoir, et notamment le pouvoir de parasiter sur la masse… Très facilement, les jeunes paysans en armes se constituent en une caste qui vit aux dépens de la masse qu’elle brime et maltraite…
Aujourd’hui, cette tendance existe toujours au Congo et elle a été poussée à son comble par les soi-disant « rebelles » du RCD et du MLC, qui n’étaient que des parasites des armées rwandaises et ougandaises, des parasites qui ont aidé les agresseurs à exterminer 4.000.000 Congolais…
En 1965, le parasitisme concernait également, et avant tout, les chefs politiques qui, pour la plupart, cherchaient à faire du tourisme dans les pays socialistes et anti-impérialistes, mais évitaient tous les risques du maquis.
Quarante années plus tard, la formule « 1 + 4 » montre que la plupart des hommes politiques cherchent toujours le pouvoir pour « parasiter la masse » par des détournements, des vols, des magouilles, des pourcentages exigés illégalement sur n’importe quelle affaire…
En 1965, les jeunes combattants congolais sans idéal politique clairement conçu, sans volonté de combat, sans esprit de discipline, devaient être « poussés »à la guerre par les internationalistes cubains. Et dès que les balles sifflaient, ils prenaient la fuite.
Ce qui confirme cette vérité fondamentale de toute lutte de libération : à la base de tout mouvement révolutionnaire authentique, il doit y avoir l’organisation politique révolutionnaire qui donne aux combattants un idéal, une conviction, un esprit de sacrifice et une discipline consciente.
Pour faire une révolution populaire, il faut une ligne politique qui reconnaît le rôle déterminant des masses ouvrières et paysannes et des opprimés dans le processus révolutionnaire. Une ligne politique qui reconnaît que les masses doivent être conscientisées et organisées pour le combat et pour la production dans l’intérêt de la communauté.
Il faut une idéologie révolutionnaire qui transforme chaque cadre et combattant grâce aux principes universels de la révolution anti-impérialiste et du socialisme.
Aujourd’hui, quarante années plus tard, honorer Che Guevara et Laurent Kabila, c’est œuvrer à l’organisation politique révolutionnaire unifié qui donnera un idéal, une conviction, un esprit de sacrifice et une discipline consciente aux masses populaires.
Revenons à 1965, revenons à cette armée parasite qui ne travaille pas, ne s’entraîne pas et ne lutte pas.
Première opération militaire : le 29 juin 1965, une attaque contre la caserne du « Front de Force ». Che note : « Ce fut la débandade complète. » Avant le début de l’opération, un combattant avait tiré involontairement un coup de fusil. Et la troupe s’est complètement désintégrée… Les forces congolaise et rwandaises ont abandonné armes et munitions, ainsi que leurs morts.
La seconde opération était aussi la seule de grande envergure, une attaque contre les installations militaires de Front de Force et de Katenga. Les combattants cubains l’ont, en fait, menée de bout en bout. « Sur les 160 combattants congolais engagés, 60 ont déserté avant même les opérations. La majorité des Congolais poussaient sur la gâchette en fermant les yeux, jusqu’à épuisement des balles. Ensuite, ils attribuaient la défaite à l’incompétence du sorcier qui a été chassé. Dans la fuite, les officiers avaient donné l’exemple et surtout les commissaires politiques. »
A la vue de cette débandade, même les guérilleros aguerris du Che étaient découragés. (p. 142-143)
Le Che disait : « Son diplôme réel, le soldat révolutionnaire, il l’obtient dans l’exercice de sa profession, par sa manière de réagir aux attaques ennemies, dans la souffrance, dans l’acharnement au combat ». (p.55)
Mais ses compagnons congolais n’avaient aucune référence pour pouvoir comprendre ce langage.
Suite à ces catastrophes, il y eut un découragement parmi les combattants cubains, ainsi qu’un certain dédain envers les combattants congolais. Guevara n’acceptait ni l’un, ni l’autre.
Che a rédigé un « Message » à ses compagnons cubains où s’exprime sa noble conception de la révolution et de l’internationalisme prolétarien: «Notre mission est d’aider les Congolais à gagner la guerre… Il faut encore accentuer notre travail politique. Il faut que les cadres voient à travers notre exemple qu’on peut agir autrement. Nous devons… nous efforcer de pratiquer une authentique camaraderie révolutionnaire à la base, entre combattants; c’est de là que sortiront les cadres moyens de demain… La soif d’enseigner doit être prioritaire pour nous… La modestie révolutionnaire doit diriger notre travail politique… Notre esprit de sacrifice doit être un exemple pour nos camarades congolais….» (p.168-169)
Comme dirigeant révolutionnaire et communiste, Che Guevara s’efforce à éduquer une nouvelle génération congolaise qui dirigera à l’avenir la véritable révolution congolaise. Il écrit début juillet 1965 : «La mission la plus importante que je puisse accomplir est de former des cadres, et c’est à la guerre, au front, et non à l’arrière-garde qu’ils doivent être formés.» (p.149) Che souligne ainsi qu’un révolutionnaire se forme avant tout dans la lutte, aux côtés des masses en lutte.
Quarante année plus tard, la tendance néfaste subsiste à se proclamer nationaliste, révolutionnaire ou kabiliste tout en ayant aucun lien avec les masses et en faisant aucun effort pour mobiliser et organiser ces masses pour la lutte contre les ennemis du Congo.
Etre avec les masses, lutter avec les masses, enseigner inlassablement la révolution au peuple au cours de la lutte, éduquer les cadres et les masses au front, dans le combat contre l’ennemi : c’est bien le première leçon que Che a donné aux révolutionnaires congolais et africains.
- Etre prêt à mourir pour la révolution congolaise
La deuxième leçon que Guevara donna au Congo fut une leçon de morale révolutionnaire.
Au Congo, même dans les difficultés les plus terribles, le Che exigeait de la part de ses compagnons cubains une confiance dans la victoire finale.
Après une débandade des troupes congolaises, certains camarades cubains se montraient découragés. Guevara leur disait: «Tu ne dois jamais permettre que qui que ce soit puisse penser que tu es vaincu et sans courage pour continuer la lutte. Tu dois te maintenir dans la disposition combative maximale et ton comportement, qui doit être visible, doit servir d’exemple et d’encouragement.» (p.293)
Guevara exigeait que les combattants membres du Parti communiste cubain croient à la victoire de la révolution congolaise et qu’ils soient prêts à mourir pour elle. Che écrit : « (Lors du rassemblement des combattants cubains) j’ai demandé qui croyait dans la possibilité du triomphe de la révolution congolaise. Seuls Moja, Mbili et quatre autres ont levé la main. Puis j’ai déclaré que parfois je devrais demander des sacrifices qui pouvaient aller jusqu’à celui de leur vie. Et là, ils ont tous levé la main.» (p.261)
- Le Che sur Kabila :« Il a un cerveau clair et une personnalité de dirigeant ».
En novembre – décembre 1996, un inconnu, un certain Kabila, faisait parler de lui.
« Le Monde » s’est hâté de nous expliquer que le grand Che Guevara avait dit à l’époque que Kabila ne valait rien…
Le Monde faisait de l’intox.
Lorsqu’il Laurent Kabila a rencontré le Che pour la première fois à Dar Es Salaam, il lui a expliqué la situation à la tête du mouvement. Che a écrit sur cette première rencontre: (p.51) : « Kabila m’a fait une excellente impression. L’exposé de Kabila a été clair, concret et ferme. Il m’a parlé de son opposition à Gbenye et Kanza et de son désaccord avec Soumialot. Il m’a dit qu’on ne peut parler d’un gouvernement congolais, sans avoir consulté Mulele, l’initiateur de la lutte. Kabila se rend parfaitement compte que l’ennemi principal est l’impérialisme américain et il se montre disposé à lutter contre lui de manière conséquente, jusqu’au bout. » « J’ai offert à Kabila au nom du gouvernement, trente instructeurs cubains et autant d’armes que possible, ce qu’il a accepté. »
En 1965, Kabila arrivait encore rarement au maquis de Fizi-Baraka. Pour s’attirer la sympathie des Cubains, des Congolais opportunistes sortaient un argument « révolutionnaire » : Kabila ne veut pas se rendre sur le champs de bataille…
Ainsi, des combattants congolais sont venus voir le commandant cubain Pablo pour lui dire que Kabila n’avait aucune volonté d’aller combattre à l’intérieur. Mais Pablo dit à Che Guevara : » Ils veulent s’abriter derrière ta personnalité et derrière les Cubains pour créer leur propre groupe. »
Che Guevara répond à Pablo : « J’ai confiance en Kabila, tous les autres sont pires et ne sont pas aussi intelligents. Assure Kabila que nous travaillons loyalement à la consolidation de l’unité du mouvement sous son commandement. » (178)
Le jeune Kabila de 1965 ne pouvait pas, en tant qu’individu, échapper aux limitations de son milieu et de son époque. Mais Che Guevara voyait plus loin que les difficultés et les faiblesses du présent. Il note la fin de son séjour au Congo ceci.
«Quel genre de chefs a eu la révolution? … Sans aucun doute, Kabila est le seul qui ait à la fois un cerveau clair et une capacité de raisonnement développée, une personnalité de dirigeant. Il s’impose par sa présence, il est capable d’exiger la loyauté, il est habile dans ses relations directes avec la population; en somme, c’est un dirigeant capable de mobiliser la masse. » (p.357)
«Le seul homme qui a de véritables qualités de dirigeant des masses, me semble être Kabila. A mon avis, si un révolutionnaire complètement pur n’a pas certaines qualités de guide, il ne peut pas diriger une révolution, mais un homme qui a des qualités de dirigeant ne peut pas pour autant mener à bien une révolution. Il est important d’avoir le sérieux révolutionnaire, une idéologie qui guide l’action, un esprit de sacrifice qui accompagne ses actes. Jusqu’à présent, Kabila n’a pas démontré posséder une seule de ces qualités. Il est jeune et il peut changer.… »
Quand Guevara et Kabila se séparent, ce dernier n’a que 24 ans ! Qui ose se présenter comme révolutionnaire accompli à cet âge ?
Laurent Kabila a pris les observations du grand Che Guevara au sérieux. Il a fait ce que le Che lui a conseillé et ce que Mulele avait fait en 1962. Kabila a suivi les traces de Mulele en Chine. Il a suivi une formation politique et militaire à la même académie politico-militaire de Nanking. Kabila a suivi une formation beaucoup plus longue que Mulele: 6 mois et 28 jours…
Laurent Kabila est retourné au Congo en 1967 complètement transformé et, le 24 décembre 1967, il y a fondé le Parti de la Révolution Populaire. A partir de cette date jusqu’à son assassinat, Kabila s’est montré digne de la confiance du Che et digne de la confiance du peuple congolais.
C’est la troisième leçon que Che Guevara nous donne : personne n’est né révolutionnaire, chacun peut acquérir la volonté de servir les masses populaires, chacun peut se former comme dirigeant du parti révolutionnaire et de la révolution congolaise, …comme Laurent Kabila l’a fait.
- CHE :« La tâche essentielle, c’est de former le Parti de la Révolution »
Che Guevara n’a été que sept mois au maquis de l’Est dirigé par Kabila. Mais avec pertinence, il a su dégager les deux problèmes essentiels pour que la révolution soit définitivement implantée dans l’esprit des masses populaires : il faut développer un projet dans lequel les masses peuvent clairement saisir les améliorations qui seront introduits dans leur vie quotidienne grâce à la révolution; il faut créer un Parti révolutionnaire uni et d’envergure national. Laurent Désiré Kabila a justement pris en main ces deux questions cruciales : il a créé les Comités du Pouvoir Populaire pour que les masses aient une idée précise des améliorations que le nouvel Etat populaire voulait introduire dans leur vie, du quartier à la commune, puis de la province au niveau national. Mzee avait créé en 1967 le Parti de la Révolution Populaire comme force dirigeante de la Révolution. En 2000, il s’apprêtait à reconstruire le PRP avec les éléments les plus avancés des CPP, les éléments qui avaient, comme Mzee le disait : « muri politiquement ».
CHE: « L’impact des idées socialistes doit atteindre les grandes masses des pays africains, comme une adaptation aux nouvelles conditions pour offrir une image complète des améliorations substantielles qui peuvent être clairement imaginées par les habitants.
Pour tout cela, l’idéal serait l’organisation d’un parti sur des bases réellement nationales, avec du prestige aux yeux des masses, un parti avec des cadres solides et éduqués; ce parti n’existe pas au Congo. Tous les mouvements lumumbistes sont des structures ver¬ticales, avec à leur tête des chefs qui ont un certain développement intellectuel, et totalement accaparées par des cadres de la petite bourgeoisie, hésitants et portés sur le compromis. Dans les conditions du Congo, un parti nouveau, basé sur les enseignements du marxisme et adapté à ces nouvelles conditions, doit s’appuyer, dans un premier temps au moins, sur des figures de prestige, qui soient reconnues pour leur honnêteté, leur capacité à représenter réellement la nouvelle nationalité congolaise, leur esprit de sacrifice, leur aptitude à commander et à rassembler; ces hommes surgiront du combat.
Aujourd’hui le camarade Mulele persiste, faisant un travail souterrain et inconnu de nous, mais il est également possible de travailler dans la zone orientale où est née cette base fondamentale de l’armée de guérilla que constitue la révolte contre la répression, l’expérience les armes à la main, la conviction intime des possibilités que cela apporte. D’où la tâche fondamentale de cette période, le développement d’un parti dirigeant de la Révolution, de taille nationale, avec des mots d’ordre intimement liés au peuple, des cadres respectés; et pour cela il faut une équipe dirigeante compétente, héroïque et visionnaire. »
- La grande contribution du Che et de Cuba à la lutte de libération en Afrique
Revenons un peu en arrière et plaçons l’épopée congolaise du Che dans son contexte africain.
Tout a commencé le 11 décembre 1964, lorsque Che Guevara prend la parole lors du XIXe Assemblée générale de l’ONU. Nous sommes à peine quelques semaines après le début de l’agression américano-belge qui était renforcée par des troupes mercenaires sud-africaines et rhodésiennes.
Che évoque devant l’Assemblée générale de l’ONU « le cas douloureux du Congo, unique dans l’histoire du monde moderne, qui montre de quelle manière on se moque du droit des peuples dans la plus grande impunité. Les énormes richesses que détient le Congo et que les nations impérialistes veulent maintenir sous leur contrôle, sont le motif de tout cela. … Tous les hommes libres du monde doivent s’apprêter à venger le crime commis contre le Congo ».
Le 17 décembre 1964, Che quitte New York pour Alger. Dans une tournée africaine il visitera 8 pays – Algérie, Egypte, Mali, Congo, Guinée, Ghana, Dahomey (Bénin), Tanzanie, Congo Brazzaville. Et il fera aussi un crochet en République Populaire de Chine.
Le 18 décembre, le Che arrive à Alger, capitale de l’Algérie révolutionnaire. Le lendemain, il rencontre le président Ben Bella, grand admirateur de Lumumba, qui soutiendra la révolution muleliste de 1964-65 de toutes ses forces.
Le camarade Yerodia rencontre Che et lui déconseille de venir au Congo : « Notre révolution est dans une phase de déclin, nous ne pouvons pas assumer correctement votre présence au Congo. »
Le 26 décembre, le Che rencontre Modibo Keita, le président malien, panafricaniste et anti-impérialiste.
Le 2 janvier 1965, il rencontre le président Massemba-Debat à Brazzaville, puis Kwame Nkrumah à Accra et Sékou Touré à Conakry…
Che Guevara a également des entretiens avec les principaux dirigeants des mouvements de libération de l’Afrique : Samora Machel du Mozambique, Agostino Neto et Lucio Lara de l’Angola.
La tournée africaine du Che fin 64 – début 65 a été un événement historique : il a initié l’épopée héroïque des combattants internationalistes cubains venant soutenir la lutte de libération sur le continent africain.
Tous les révolutionnaires cubains savent que l’histoire de Cuba a commencé avec le génocide de la population indigène appelée « indiens » par les conquérants espagnols. Aucun Indien n’a survécu.
Ainsi les Espagnols ont importé des esclaves africains venus du Bénin et du Congo et de l’Angola. Tous les révolutionnaires cubains connaissent les crimes commis par les colons contre les populations esclaves venues de l’Afrique et Che et ses compagnons, en apportant une aide internationaliste aux patriotes africains, savaient qu’ils payaient simplement une dette à l’Afrique… La grande majorité des combattants cubains étaient d’ailleurs des descendants d’esclaves africains…
Mais Che n’a pas seulement initié la solidarité militaire de Cuba avec la révolution africaine, il est aussi à la base des programmes d’aide dans le domaine de la médecine, de l’éducation et du développement. Cuba a actuellement 50.000 coopérants dans 65 pays de l’Amérique Latine, de l’Afrique et de l’Asie. Cuba a ouvert ses universités à 60.000 étudiants et étudiantes du Tiers monde parmi lesquelles la fille de Léonie Abo, la compagne de Pierre Mulele, qui vient de terminer ses études de médecine….
Le 11 février 1965, le Che arrive à Dar Es-Salaam. Il y rencontre les Combattants de l’indépendance de toutes les colonies africains, réfugiés dans la capitale tanzanienne. Che a un premier entretien avec Laurent Kabila, le chef du Front de l’Est.
Che arrive le 24 avril 1965 à 04h00 dans le maquis de Kabila, dit le maquis de Fizi-Baraka….
Des groupes de combattants cubains l’y rejoignent et Che se trouvera finalement à la tête de 123 combattants cubains.
Le combat de Che Guevara et des internationalistes cubains a été hypothéqué dès le début. Cette révolution était déjà sur le déclin lorsque Guevara entra au maquis. Il n’y avait pas de cadres congolais pour reprendre en main cette révolution en déclin et la donner une nouvelle impulsion. L’œuvre héroïque des internationalistes cubains était donc condamné à l’échec. Mais de cet échec ont jailli trois mouvements révolutionnaires puissants.
- D’abord, Laurent Kabila et ses compagnons feront le bilan autocritique de la révolution muleliste et ils donneront au Congo le premier Parti révolutionnaire authentique: le Parti de la Révolution Populaire. Cette expérience culminera dans la guerre de libération de 1996-97.
- En Janvier 1966, la première Conférence Tricontinentale est organisée à La Havane, Cuba. Elle réunit des révolutionnaires et des patriotes de l’Amérique Latine, de l’Afrique et de l’Asie. La Tricontinentale sera un forum unique où la solidarité révolutionnaire entre les trois continents dominés par l’impérialisme est organisée et l’expérience révolutionnaire échangée.
- Les combattants cubains de la glorieuse colonne de Che Guevara ont tiré des leçons de la défaite congolaise. Ils ont livré pendant un quart de siècle des combats historiques pour la liberté des peuples africains, luttes qui ont changé radicalement le cours de l’histoire avec les victoires de la révolution anti-coloniale en Angola, en Namibie, au Mozambique, en Guinée-Bissau et avec la défaite de l’armée de l’apartheid en Angola et en Namibie….
Ainsi, dix années après l’expérience désastreuse de Che au Congo, les détachements de l’armée mobutiste ont été mis en déroute par les forces cubaines et angolaises à Kinfangondo, Cabinda, Negage-Uige et elles ont été expulsées de l’Angola.
En 1975-76, les troupes de l’Apartheid ont fait des avancées dévastatrices sur Luanda. Elles ont été arrêtées sur la rivière Queve par les troupes cubaines et les troupes du MPLA. En cinq mois, l’armée de l’apartheid a été chassée de l’Angola. En 1987-88, les troupes du régime raciste sont à nouveau entrées en force en Angola. Lors de la bataille historique de Cuito Cuanavale, les agresseurs sud-africains ont subi une défaite stratégique face aux troupes cubaines, angolaises et namibiennes. C’était le retrait définitif des troupes racistes de l’Angola et la déclaration de l’indépendance de la Namibie…
En juillet 1965, la colonne Deux dirigé par Jorge Risquet est arrivée à Brazza pour défendre la gouvernement nationaliste de Massemba Débat. Elle comptait 250 hommes. Les Cubains ont aussi entraîné la Milice populaire pour défendre le pays.
A Brazza, Risquet devait aussi former les combattants du MPLA. En septembre 1966 une colonne de 100 hommes, parti de Brazza via Kinshasa, atteint la Première Région à Ngalama sans avoir rencontré l’ennemi.
Une deuxième colonne de 127 hommes part mi-janvier 1967. 21 hommes arrivent à destination, tous les autres sont morts dans le combat ou de faim.
Une autre colonne entraînée par les Cubains est arrivée dans la Troisième Région.
En Guinée Bissau, le grand révolutionnaire Amilcar Cabral, que Che Guevara avait rencontré leur de son tournée africain, a engagé une soixantaine de cadres et de combattants cubains pour la lutte contre la domination coloniale portugaise…
La quatrième leçon que Che Guevara nous donne, c’est la nécessité d’organiser la lutte révolutionnaire de tous les peuples africains contre l’impérialisme, lutte qui doit se transformer au moment opportun en guerre populaire pour la libération nationale et sociale.
- Les peuples du monde doivent s’unir dans le combat commun contre l’impérialisme et principalement l’impérialisme américain.
Il faut pratiquer l’internationalisme et la solidarité de tous les peuples opprimés et de toutes les classes exploitées contre l’impérialisme, l’ennemi principal des peuples dominés et des masses populaires: c’est la leçon essentielle qui se dégage de toute la vie militante du commandant Ernesto Che Guevara.
Avant de partir au Congo, Che écrit dans sa lettre d’adieu à Fidel. «Sur les nouveaux champs de bataille, je porterai … la sensation de remplir le plus sacré des devoirs: lutter contre l’impérialisme où qu’il se trouve.»
L’internationalisme du Che est inséparablement lié à son esprit de sacrifice dans le combat pour libérer tous les exploités du monde. «N’est révolutionnaire que celui qui est disposé à renoncer à toutes les commodités pour aller lutter dans un autre pays.» (p.349)
L’internationalisme, Che ne l’a pas appris en Afrique. Il l’a appris à l’âge de 24 ans, et à moto.
En effet, après avoir fait les candidatures en médecine dans son pays, l’Argentine, Guevara a fait une tournée en Amérique Latine à moto. Il a vu les terribles conditions de travail des mineurs chiliens, exploités à mort par des multinationales américaines. Au Pérou, il a rencontré le docteur Hugo Pesce, grand scientifique et révolutionnaire marxiste.
En Colombie et au Venezuela il a eu la confirmation que deux calamités mortelles frappent toute l’Amérique Latine : l’exploitation éhontée des ouvriers et des paysans et la domination économique, politique et militaire de l’impérialisme yanqui. Puis le jeune Che, transformé en marxiste et révolutionnaire convaincu, rentre en Argentine pour achever ses études de médecine.
Et ensuite il a repris la route vers la Bolivie, le Panama, Costa Rica, Nicaragua, Honduras, Salvador et Guatemala.
Dans ce dernier pays, il a vu comment le gouvernement patriote d’Arbenz Jakobo a été attaqué par l’impérialisme américain venant au secours de la multinationale United Fruit Company. Des milices populaires ont été formées et Che Guevara s’est engagé pour la première fois dans sa vie à manier des armes.
Lors de la répression au Guatemala, l’armée et les services secrets américains arrêtaient et massacraient les patriotes et les révolutionnaires. Che Guevara a pu s’échapper de justesse au Mexique.
C’est là qu’il rencontre Raoul Castro et puis Fidel et qu’il s’engage avec 82 autres révolutionnaires sur le bateau Granma pour aller soulever les masses cubaines contre la dictature de Batista.
Le Che dira : « Je considère toute l’Amérique Latine comme ma patrie ». Il suivait ainsi les enseignements des grands révolutionnaires Simon Bolivar et Jose Marti qui à la fin du XIX siècle, ont mobilisé l’ensemble de l’Amérique latine contre la domination espagnole…
Arrivé à Cuba, Che commandera la deuxième colonne de la guérilla dans les montagnes de la Sierra Maestra. Che y a grandement contribué au combat victorieux contre 10.000 soldats envoyés par Batista.
Ensuite, Che Guevara commande la 8e colonne qui quitte la Sierra Maestra pour Santa Clara, où la bataille décisive sera livrée contre les troupes de la dictature. 3.000 soldats de Batista se rendent et le dictateur prend la fuite…
Après la victoire, l’argentin Guevara reçoit la nationalité cubaine et il devient directeur de la Banque nationale, puis ministre de l’industrie.
Fin 1960, l’impérialisme yanqui instaure un embargo commercial total contre Cuba, suivi par la rupture des relations diplomatiques. Le Che dirige alors une délégation cubaine qui se rend en Union Soviétique, en Allemagne de l’Est et en Tchécoslovaquie, en Chine et en RDP de Corée.
Che écrira : «Face à l’impérialisme yankee, il ne suffit pas d’être décidé à la défense; il est également nécessaire de l’attaquer dans ses bases d’appui, dans les territoires coloniaux et néo-coloniaux qui servent de base à sa domination du monde.» (p.383-384)
En 1960-1967, un petit peuple du tiers monde, le peuple vietnamien, a donné des coups dévastateurs à l’impérialisme américain. Che Guevara avait une admiration sans bornes pour le courage et l’héroïsme de Ho Chi Minh et du Parti du Travail Vietnamien. Il avait honte que la solidarité internationale n’avait pas l’ampleur et la force que la situation exigeait. Che a lancé alors sa formule : Il faut créer deux, trois Vietnams et l’impérialisme américain sera paralysé.
Che disait : « Le Vietnam est tragiquement seul. Il ne s’agit pas de souhaiter le succès à la victime de l’agression, mais de partager son sort de l’accompagner dans la mort ou dans la victoire. Oui, nous pourrions regarder l’avenir proche et lumineux, si deux, trois Vietnam fleurissaient sur la surface du globe avec leur héroïsme quotidien, avec leur coups répétés assénés à l’impérialisme, avec pour les Etats-Unis l’obligation de disperser ses forces sous les assauts des peuples du monde ! »
Et pour Che, la lutte du peuple congolais contre l’agression américano-belge de novembre 1964 montrait que l’Afrique apportera sa contribution à la libération de l’humanité de la barbarie impérialiste.