Témoignage oculaire

Boswa Isekombe, est candidat pour les élections législatives pour le M17 de Kikukama dans la circonscription de Bokunga en Equateur. Il est un militant de gauche, connu pour son activité dans le RICC (Réseau International pour la Défense des Cinq Cubains emprisonnés aux Etats-Unis). Mardi le 21 novembre, Boswa Isekombe était dans la salle de la Cour Suprême de justice à partir de 8h30. Il vivra les évènements et ne pourra quitter le bâtiment de la CSJ que vers 14h.
Nous publions ici son témoignage et nous ferons quelques commentaires après.

Leonard Kasimba

Témoignage de Boswa Isekombe

« Pour entrer le matin il fallait passer 5 à 6 chars de la Monuc et ensuite un cordon d’une vingtaine de policiers dirigés par un colonel. Les policiers ne laissaient entrer que les invités de la Cour. C’est-à-dire les candidats et leurs avocats qui contestent les résultats des législatives, dont la plainte serait traitée lors de cette séance. Puisque l’affaire de Bemba contre la CEI serait aussi traitée lors de la même séance, les représentants de Bemba et ses avocats pouvaient aussi entrer.
Les policiers fouillaient tout le monde qui voulait entrer. Les avocats de Bemba refusaient d’être fouillé. Lisanga Bonanga, cadre du UN, a crée à ce moment un incident. Il a injurié le colonel en question en refusant la fouille et le colonel lui a refusé l’entrée. Alors il a fait un scandale et il s’est rejoint aux quelques centaines de sympathisants du MLC, j’estime leur nombre entre les 200 et les 300, qui se trouvaient plus loin vers la maison de Bemba situé dans la même avenue où il y avait un cordon policier plus important..

Les juges ont commencé vers 10h00 avec la plainte de Bemba contre le CEI.
Premier point était la revendication des avocats de Bemba pour que le procès ne soit pas tenu à huit clos. Ils exigeaient la présence du public et de la presse. Les juges se sont retirés et ils se sont déclarés d’accord avec cette exigence. En effet, vu l’importance de ce procès et la volonté manifeste du MLC d’employer cette affaire pour leur agitation, la justice ne pouvait gagner avec cette décision de donner un caractère public aux débats.

Mais le juge n’a pas eu le temps d’avertir le colonel dirigeant le cordon des policiers. Ce sont Thérèse Nlandu et Yves Kisombe qui ont couru vers l’extérieur et qui ont fait appel à leurs sympathisants et à la presse pour qu’ils entrent. Le colonel a refusé, ensuite ils sont rentrés dans la salle en déclarant que le colonel faisait de la rébellion et le juge a fait savoir au colonel qu’il devait laisser entrer le public et la presse dans la salle.

Employant cette confusion et en ridiculisant le colonel, Mme Nlandu et Mr Kisombe ont fait entrer alors leurs sympathisants en refusant aux policiers de les fouiller.
A mon étonnement il n’y a qu’une cinquantaine de sympathisants du MLC qui sont entrés ensemble avec la presse nationale et internationale. La grande masse des quelques centaines de bembistes restait éloignée vers la maison de Bemba.

Le deuxième point de discussion était la tentative des avocats de Bemba de refuser l’accès au procès de deux avocats représentant Joseph kabila, maître Nkulu et maître Kossi Saka Nkombe. Les avocats de Bemba disaient que JK n’étaient pas concernés par leur plainte qui était une plainte contre la CEI, pas contre JK. La CSJ a décrit l’intervention des deux avocats de Joseph Kabila dans ce procès comme « intervention volontaire ». Il s’agit d’un terme juridique qui implique que quelqu’un qui n’est pas accusé directement mais qui a intérêt dans le jugement peut se faire représenter par ses avocats.

Troisième point d’achoppement était la revendication des avocats de Bemba pour que deux juges siégeant dans la CSJ se retirent du procès, à cause du fait qu’ils seraient parentés à Joseph Kabila.
Les juges se sont à nouveau retirés et quand ils sont revenus, ils ont demandé aux avocats de Bemba de fournir les noms ainsi que les preuves de la parenté des juges en question. Les avocats de Bemba ont refusé en disant que ce sont les juges qui devaient se retirer eux-mêmes par principe d’éthique professionnelle.

Il y a deux possibilités : ou bien ces avocats se sentaient gênés de prouver en public que Joseph Kabila étant parenté aux juges de la CSJ de la RDC, est bel et bien congolais. Ou bien ces avocats n’avaient pas des preuves et agissaient sur base de ragots et de rumeurs. En tout cas, la CSJ a conclu qu’il n’y avait pas de raison de changer la composition de la Cour et elle a demandé aux avocats de déposer leur plaintes motivé chez le greffier.

A ce moment on entendait des tirs d’armes lourdes dehors.
C’était vers 11h 30. Le Président de la Cour a immédiatement suspendu l’audience et deux minutes plus tard les juges et le personnel de la Cour était évacué par l’autocar de la CSJ.

Les vingt policiers qui étaient dehors sont rentrés dans la salle et se sont déshabillés devant tout le monde en disant qu’ils ne pouvaient pas faire face aux militaires de Bemba qui étaient en civile et armés lourdement. Les chars de la Monuc se sont retirés aussi. Et ensuite il y a eu pendant une longue période que j’estime deux heures, ni chars de la Monuc, ni policiers dans les environs de la CSJ.

A ce moment j’ai vu trois personnes parmi les sympathisants de Bemba qui étaient entrés dans la salle lors du premier incident le matin qui avaient des grenades. Je confirme les avoirs vu et d’autres personnes présentes m’ont dit qu’ils ont aussi vu des personnes parmi ces soi-disant sympathisant du MLC qui possédaient des grenades. Une de ces personnes voulait jeter sa grenade au milieu de la salle dans le public. Mme Nlandu lui a empêché car « les avocats de Bemba étaient encore là ». Une autre personne armée a répété cela et heureusement le type a reculé car cela aurait été un massacre.

Ensuite les militaires de Bemba ont envahi la CSJ. Ils ont évacué d’abord les avocats de Bemba et aussi des cadres comme Bomanza, Yves Kisombe et Mme Nlandu après c’étaient le tour de la majorité des sympathisants de Bemba. C’était fait d’une façon bien organisée et disciplinée. Il n’y a que Eve Bazaïba et Dindo qui sont restés avec quelques sympathisants. Vingt minutes après ils sont sortis à leur tour sans difficulté.

Vers 12h il y a quelques jeeps de l’Eufor qui sont venus et ils ont évacué la presse internationale et les expatriés. Ils triaient soigneusement les gens qu’ils évacuaient. Il y a une avocate congolaise qui faisait parti du groupe d’observateurs de l’Union Européenne, elle voulait rentrer avec ses collègues européens dans les jeeps de l’Eufor mais les militaires de l’Eufor l’ont renvoyé dans la salle disant qu’ils n’avaient l’ordre que d’évacuer les expatriés.

Ensuite nous avons été pendant deux heures encerclés et terrorisés par des tirs d’armes lourdes. Les militaires de Bemba nous interdisaient de sortir. Pendant la plupart du temps nous étions tous couché sur le sol. A certains moments, nous pouvions jeter un coup d’œil dehors et nous avons vu comment des gens en civils allaient payer leur essence au station et traversaient tranquillement la rue pour aller mettre le feu à la mairie de Gombe et aux containers qui contiennent des documents, je suppose aussi des plis électoraux.

A un certain moment un de ces bandits est entré et il a dit qu’ils ne cherchaient que des policiers et des militaires, « ceux qui veulent peuvent sortir ». Je suis sorti et en sortant je n’ai vu ni Monuc, ni Police, seulement des gens en civils dont plusieurs étaient armés.

Je suis allé en direction du Parquet Général de la République où j’ai pris un taxi pour quitter le quartier. C’était 14h. »

Quelques commentaires :

1) Il est clair que pendant une période assez longue de plus que 2h les environnements de la Cour Suprême de Justice étaient militairement sous contrôle des milices de Bemba.
La version selon laquelle les civils en armes qui ont brûlé la mairie de Gombe et les containers de la CSJ seraient des agents da camp Kabila, est difficilement à maintenir.
– D’abord il y a le fait qu’à deux reprises des cadres bembistes ont été évacués de la salle. Cela ne pouvait pas se faire sans que les environs de la CSJ fussent sous contrôle des bembistes.
– Ensuite il y a aussi le fait qu’à aucun moment les gens armés de Bemba, au moins avec des grenades, ont employé ces armes contre des éléments étant à l’extérieur.
– Enfin il y a le fait que vers 14h un militaire vient dire que « nous ne cherchons que les policiers et les militaires », ce qui prouve que cette milice bembiste avait bel et bien le contrôle de la salle et de l’environnement.

2) Aujourd’hui, à la fin du mandat de l’Eufor, l’on entend des commentaires presque euphoriques sur les prestations de l’Euror. Il manque quand même un peu trop le sens de la critique. En effet, si le témoignage de Boswa Isekombe est confirmé on peut se poser la question : comment l’Eufor peut-il aller si loin de refuser un membre du groupe d’observateurs européens sur base de la couleur de sa peau ou de sa nationalité ?

3) Sur le rôle et le comportement de Thérèse Nlandu.
Thérèse Nlandu est dans un bref délai de temps devenu une sainte qui serait la victime d’une nouvelle dictature naissante. Et l’on a même vu Amnistie International se mêler dans l’affaire. Or on peut se poser des questions sur le rôle et le comportement de Mme Nlandu, ce jour du 21 novembre. D’abord, sur l’écran de CCTV, elle a été montrée des dizaines de fois ce jour-là, en lançant un appel carrément insurrectionnel. « C’est la lutte pour la deuxième indépendance. Le peuple doit se lever et chasser dehors tous ces étrangers et leurs troupes ».
Ensuite le témoignage démontre que Mme Nlandu avait bel et bien une autorité vis-à-vis des éléments armés et apparemment prêt à massacrer un grand nombre de gens en jetant une grenade au milieu de cette la salle pleine.
Ajoutons que le même jour « la Thérèse » a été arrêté par la police ainsi que ses gardes de corps . Le journal L’Avenir a confirmé que les soi-disant « gardes de corps » de Mme Nlandu étaient en fait des membres des commandos Hiboux de Ngbanda, qui, dans l’époque de la dictature mobutiste, s’étaient illustrer dans le plasticage des imprimeries, notamment celle du journal Elima. Le journal ajoute que le commando avait pour mission de faire exploser la Cour suprême de justice dans le but de faire disparaître tous les éléments en possession de la haute cour.

4) Sur la présence de assassins criminels du reseau Hibou de Ngbanda à Kinshasa.
Le Représentant Spéciale de l’Union Européenne (RSUE), Aldo Ajelllo a écrit dans son rapport de mission allant du 10 au 18 novembre 2006 : « Bemba se trouve dans une situation difficile: il est juché sur le dos d’un tigre dont il ne saurait descendre sans se faire avaler. S’il continue à accuser la CEI et la communauté internationale d’avoir manipulé le résultat des urnes et à exhorter ses partisans et alliés politiques à avoir foi en sa victoire, il lui sera difficile de publiquement reconnaître sa défaite électorale sans se voir accuser de trahison et rejeté par les éléments les plus extrémistes au sein de l’UpN, et sans devoir craindre pour sa propre sécurité.
Tels que les évènements du 11 novembre l’ont démontré, deux facteurs importants capables d’enflammer la ville sont les enfants de la rue dits « shegges » et les milices de Jean-Pierre Bemba. Désespérés par la défaite électorale de leur chef politique, dopés par la drogue et l’alcool, ces milices deviennent imprévisibles, dangereuses et difficiles à contrôler. »

Dans sa déclaration du 28 novembre, Bemba s’est sagement distancié de ses éléments extrémistes. Or Il est clair que des commandos militaires étaient présent à Kinshasa et étaient prêt à aller jusqu’au bout. En témoigne l’incident grave annoncé ce 1° décembre qui s’est passé au 14° rue de Limete. On peut se poser la question quelle force politique dans l’UN de Bemba (très probablement en liaison avec Ngbanda et Katebe Katoto) a fait appel à ces tueurs et les a incité et commandité à commettre ces actes violents ?

Nous résumons les faits tels qu’ils sont relatés par le journal L’Avenir du 1° décembre.
« Une jeep, avec à son bord sept individus, pris en chasse par un véhicule de la police nationale, a tiré sur la police. Cette dernière a répliqué. Et ce qui devrait arriver arriva. Une fusillade nourrie. Heureusement, la police a mis son talent en épreuve. Deux des occupants de la jeep sont mis aux arrêts pendant que les cinq autres ont réussi à disparaître dans la nature.
Curieusement, il s’agissait des militaires. Parmi eux, un certain Mokay Mbinga, colonel de son état, matricule 105989/K. Il est affecté à la CONADER. Ce dernier avait personnellement tiré sur la police nationale. Il nous revient également que c’est lui qui se chargeait du recrutement des terroristes moyennant une modique somme variant entre 20 et 40 dollars américains. En plus de cet argent, chaque recrue recevait un jeton avec lequel il devrait se présenter le jour et à l’endroit indiqués pour recevoir les armes nécessaires. Son compagnon d’infortune, c’est un major. Un certain Mulumba Kayembe, matricule 058050/K. L’homme est affecté à Bunia où il était sensé se retrouver. Tous deux étaient armés jusqu’aux dents. Le premier portait un Uzi 15/8 avec un chargeur garni. Quant au second, il portait un FA n° 201 avec deux chargeurs garnis.
Pendant que la police avait mis la main sur ces deux officiers, le chauffeur qui conduisait la jeep, a profité du moment pour appeler du renfort. Aussitôt, le renfort demandé est arrivé dans une autre jeep. Sans rien demander, les nouveaux venus ont eux aussi pris la police pour cible, redoublant la fusillade. Cette dernière jeep réussira à prendre le large après la fusillade.
Le lendemain, une délégation se présentera à la police où la jeep était saisie. Les émissaires, parlant au nom du vice-président de la République JP Bemba, prétendaient que ce dernier exigeait que l’on lui rende ne fut-ce que la jeep. Pour le responsable de la police qui avait saisi la jeep, étant donné que celle-ci était impliquée dans une opération condamnable par la loi, il fallait que le vice-président adresse sa demande au chef de l’Etat. C’est ce dernier qui déciderait s’il faudrait ou pas rendre la jeep à JP Bemba. Ce serait aussi la preuve que cette jeep appartenait au vice-président. Interrogé à ce sujet et comme on devrait s’y attendre, le vice-président dira qu’il ne connaissait pas ces hommes. Le contraire nous aurait étonné. Les informations en notre possession démontrent qu’il s’agirait du commando préparé pour rendre Kinshasa ingouvernable. Il nous revient de la même source que c’est la même équipe qui avait quelques jours plus tôt assassiné un agent de la CONADER non loin de la Cité Verte dans la commune de Selembao. »