C’est à bâton rompu que Digitalcongo s’est entretenu avec Benjamin Mukulungu, député, Président du Groupe parlementaire de la Composante ex-Gouvernement, ancien ministre de la Fonction publique et ancien syndicaliste, secrétaire national du Parti du peuple pour la reconstruction et le développement et animateur de la Société civile.
Digitalcongo : Quelle lecture faites-vous du discours d’ouverture de la session budgétaire d’octobre prononcé lundi 04 octobre dernier par le Président de l’Assemblée nationale, M. Olivier Kamitatu ?
Benjamin Mukulungu : La fin de la session extraordinaire d’avril et l’ouverture de la session ordinaire d’octobre ont coïncidé avec la publication du 2ème Rapport du Président de l’Assemblée nationale. En lieu et place d’un rapport sur l’institution Assemblée nationale, Olivier Kamitatu s’est arrogé le droit de faire un document taillé sur sa propre personne. On a la nette impression de se trouver en présence de ce que les psychologues appellent le narcissisme. Tellement il donne l’impression qu’il n’y a que lui qui compte, que l’Assemblée nationale ne compte pas à ses yeux. (…)
Comme il s’inscrit dans un schéma des échéances électorales, nous lui demandons plutôt de faire une politique de lobbie au lieu d’un discours spectacle. Puisqu’il estime que les autres institutions de la Transition n’en font pas assez pour faire avancer les choses, pourquoi ne prendrait-il pas l’initiative de rencontrer les acteurs politiques concernés pour les pousser à déposer le plus rapidement possibles les projets de loi que le peuple attend, notamment le Gouvernement, auquel son parti le Mlc est partie prenante ? C’est le cas pour ce qui est du reste des lois essentielles pour la tenue des élections, dont : le projet de la Electorale, le projet de loi sur la décentralisation, le projet de loi sur le recensement, et le projet de loi référendaire. Ne pas entreprendre cette démarche, c’est s’obstiner à faire accréditer l’impression qu’il n’y a que lui qui travaille !
Dc : Où en est le projet de loi sur l’amnistie ? Que cache la démarche d’Olivier Kamitatu auprès de la Haute cour de justice de laquelle il a sollicité un avis consultatif ?
B.M. : Les questions que l’on devrait se poser sont plutôt : Que veut-il faire de ce projet de loi ? Pourquoi a-t-il arrêté le processus du vote de cette loi ?
Nous savons tous que ce projet de loi a été adopté au niveau du Gouvernement d’union nationale et qu’il na été déjà examiné à la Commission politique, administrative et juridique de l’Assemblée nationale. Présentement, il est en souffrance au Bureau de l’Assemblée nationale, peut être –je pèse mes mots-, parce que le point de vue personnel de M. Olivier Kamitatu est diamétralement opposé à celui du Gouvernement et à la Commission politique, administrative et juridique de l’Assemblée nationale, qui ne généralise pas l’amnistie à l’acte de l’assassinat de feu le Président Laurent-Désiré Kabila !
Comment interpréter l’avis qu’il a sollicité auprès de la Cour suprême de justice, sans que soient associée la conférence des Présidents des Commissions et des Groupes parlementaires et même des membres du Bureau de l’Assemblée nationale qui devrait au préalable lever cette option ? Si cela ne s’appelle pas autoritarisme, ce ne peut être alors qu’un abus d’autorité, et même que bien pire que cela !

Malgré cela, mal lui en a pris : les hauts magistrats l’ont renvoyé à ses études parce qu’ils savent que leur compétence n’est pas de faire la politique politicienne, mais de, à dire le droit tel que décidé par le législateur, celui-là même dont il est entrain de priver de la possibilité de régler la question politique, quitte pour lui – comble du paradoxe- à laisser aux magistrats le soin à siéger et à décider à sa place !
Dc : Votre point de vue sur la question de la nationalité et la manière avec laquelle elle a été réglée ?
BM : Les Congolais avaient été piégés sur cette question. D’abord dans l’Accord de cessez-le-feu de Lusaka, notamment par la manière dont s’est faite la définition de la nationalité congolaise qui se réfère aux groupes ethniques au lieu des tribus. Et également aux nationalités présentes au Congo en 1960, comme si le terme nationalité devrait être défini ou explicité par ce même terme, mais mis au pluriel !
Que dit l’article 1 de la loi sur la nationalité ? Il stipule que « Tous les groupes ethniques et les personnalités et les territoires qui constituaient ce qui est devenu la République démocratique du Congo à l’indépendance jouissent de l’égalité et de la protection des lois en tant que citoyens ».
Apparemment, on a défini de cette façon-ci la citoyenneté à la place de la nationalité. Cette formulation acceptée dans l’Accord de Lusaka a atterri dans la Constitution, qui est la Loi de lois. C’est la premier piège.
Le second piège a été tendu à tous les négociateurs de Sun City où tous les négociateurs s’étaient reconnus le droit à la nationalité congolaise. En d’autres termes, tout négociateur de Sun City avait automatiquement la nationalité congolaise ! Ici l’aberration s’est additionnée de l’imposture !
Face à ce terrorisme politique inspiré par les maîtres du monde, la majorité des parlementaires avaient souhaité que cet article soit élagué de la loi sur la nationalité. Compte tenu, d’une part que son application sur terrain poserait des problèmes et, d’autre part, que la loi sur la nationalité, qui irait au-delà de la Transition ne devrait pas contenir les germes des difficultés des textes régissant la Transition, et qui vont mourir avec elle.
D’aucuns avaient suggéré et non sans raison, que ce travail soit laissé aux vrais députés qui seront élus par le Souverain primaire, et non pas par les députés « fabriqués » à Sun City par les Composantes et Entités à la légitimité factice !
L’une des tâches primordiales du premier Parlement de la Troisième République sera d’élaborer une vraie loi sur la nationalité. On ne pourra pas alors évoquer le droit acquis – de la nationalité, cela s’entend -, car ceux qui ont conféré cette nationalité à Sun City n’avaient pas la légitimité nécessaire pour ce faire. (…)
Dc : Où en est l’avant projet de Constitution ?
BM :Je dois vous avouer franchement qu’à l’allure où vont les travaux et selon les échos qui nous parviennent de Kisangani où se trouve en conclave le Comité de rédaction de la Commission constitutionnelle du Sénat, les débats sur le texte de l’avant projet de Constitution risquent d’hypothéquer l’aboutissement de la Transition, spécialement sur la question de la forme de l’Etat. Cette question ne manquera pas de susciter des affrontements sans compromis. Si nous pouvons nous permettre de dire quelque chose à ce sujet, la littérature politique renseigne que les Etats fédérés étaient d’abord séparés, et ils se sont mis dans une fédération. Or la République démocratique du Congo à ce jour est un Etat unitaire qui ne peut que se décentraliser, et non se fédérer : cette dernière notion ne signifie –t-il pas s’unir davantage ?