Discours du Président Kabila au Palais du Peuple, le 21 janvier 1999
Nous avons choisi ce jour pour parler de la mission des Comités du Pouvoir Populaire. L’AFDL doit faire une mutation pour se transformer en Comités du Pouvoir Populaire. Nous avons créé l’AFDL comme mouvement pour la libération de notre pays, dirigé par un « Etat anti-peuple », un Etat dont la mission était de défendre des intérêts étrangers. Le résultat, c’était la misère partout, l’économie ravagée, extravertie.
Un Etat au service de l’étranger ou un Etat populaire?
L’Etat mobutiste avait une seule mission: faire primer les intérêts des grands pays sur l’intérêt national.
Le caractère répressif de cet Etat était nécessaire pour permettre aux intérêts étrangers de prospérer. La mission de l’AFDL était de mettre fin à cet Etat compradore qui était la courroie de transmission des directives de l’étranger. Cet Etat compradore a trop duré. Il a créé une culture, des habitudes dans le domaine de la production, de la pensée, du comportement des citoyens.
Quand nous nous sommes emparés du pouvoir d’Etat, la finalité était que le peuple gouverne sur son sol. Pour que le peuple gouverne, il faut l’organiser. Le peuple doit être organisé pour qu’il assume seul ses responsabilités. L’AFDL doit créer un Etat populaire, un Etat du peuple, un Etat qui pense d’abord et avant tout aux intérêts du Congo.
A un moment, Léopold II avait son Etat du Congo pour chercher le caoutchouc. Si vous n’alliez pas en chercher, on vous amputait, vous deveniez manchot. La chicote était quotidienne. Ils ont pillé, pillé. Ils sont partis et nous avons eu droit à un autre Etat, celui-là avec des Congolais à la tête mais ils étaient des agents d’autres puissances. Sa mission était de réprimer toujours, partout. Nous venons de prendre le pouvoir pour créer un Etat du peuple et nous disons qu’il faut confier le pouvoir au peuple. Nous savons qu’ils feront beaucoup de tentatives pour récupérer leur Etat, surtout par le biais des partis politiques qu’ils cautionnent. Le peuple doit être vigilant.
Ceux qui ont façonné l’ancien Etat qui les servait grassement, ont déclenché dans le monde entier une propagande pour déformer les objectifs de l’AFDL. Ils l’ont fait pour obliger le nouveau pouvoir à reprendre le rÙle du gouvernement qui venait d’être renvoyé.
Alors, il fallait faire un choix. Ou bien craindre ce mensonge monstrueux, laisser le mensonge l’emporter et, apeuré, se ranger et jouer le même rÙle que l’Etat précédent. Ou bien résister à toutes les campagnes de mensonges et poursuivre le but de créer un Etat qui privilégie les intérêts nationaux. La réaction déclenchée dans le monde par la prise du pouvoir de l’AFDL n’était pas fortuite. Ce qui était en jeu, c’était le destin du peuple congolais, qui devenait maître de l’instrument capital pour construire son bien-être matériel, social, culturel. Nous avons carrément refusé d’être un autre gouvernement d’un Etat compradore.
Maintenant il faut organiser le peuple afin qu’il prenne son destin en main. Organiser le peuple signifie le mettre en mobilisation permanente et lui confier des pouvoirs qui dans d’autres Etats appartiennent à l’administration et au gouvernement qui prétendent représenter les intérêts du peuple. « Que le peuple gouverne » était la finalité du combat de l’AFDL. Pour que le peuple gouverne, il faut organiser ce peuple et celui-ci s’organise dans des Comités du Pouvoir Populaire qui sont indispensables à la vie de la nation. Ce pouvoir dans les mains du peuple congolais, ce pouvoir à partir de la rue, du village doit être un pouvoir effectif. Il doit débattre de la vie de la communauté, de la rue, du village, du quartier, etc…
Démocratie populaire ou « démocratie » néocoloniale?
Le peuple lui-même, dans ces comités populaires, peut débattre de tous les problèmes qui se posent à la nation.
Il faut la cohésion nationale pour que le peuple ne soit pas divisé. Nous sommes à la veille de la promulgation de la loi légalisant les activités politiques. Chaque groupe va vendre son programme. Ils vont suggérer au peuple qui n’est pas organisé mais éparpillé, de voter pour tel ou tel. Dans le système qui a été renversé, une multitude de partis politiques coopéraient avec l’ancien Etat et le peuple était dispersé. Dans la phase actuelle, nous devons úuvrer pour l’unité du peuple, pour la cohésion interne et nous opposer à la dispersion. Il faut que le peuple s’organise et soit conscient des dangers de la division.
Les Comités du Pouvoir Populaire ont un grand avenir dans ce pays. Le peuple congolais a longtemps travaillé pour les intérêts étrangers. Il est temps qu’il travaille pour ses propres intérêts. On doit chasser la pauvreté. Mais comment peut-on la chasser, si on n’est pas bien organisé, si le peuple n’est pas responsabilisé?
Certains ne pensent au peuple que pour venir briguer un mandat pour la députation! Lorsqu’ils viennent solliciter le mandat, ils font des promesses très alléchantes. Une fois élus, ils disparaissent et les problèmes demeurent. Peu de problèmes ont été résolus par la députation.
Maintenant, il faut une bonne organisation du peuple qui permette à tout le monde de participer au travail et surtout à la prise de décision et au suivi de l’exécution. Nous n’avons pas trouvé mieux que les Comités du Pouvoir Populaire.
Face à la possibilité de chaos lors de la libéralisation des partis politiques, les Comités du Pouvoir Populaire sont la solution. Qu’est-ce que l’on vous propose? De laisser la décision à d’autres. Ce serait une erreur monumentale de confier votre pouvoir à quelqu’un d’autre parce qu’il est passé maître à faire des propositions alléchantes. Il vous parle comme un magicien. Vous le votez. Il viendra réparer votre rue. Mais vous ne le verrez jamais. Pourquoi ne l’ont-ils pas fait durant toutes ces années. Ceux qui ne sont pas contents du pouvoir actuel, comptent sur l’émergence des partis politiques pour venir déchirer l’unité du peuple. Beaucoup de pays qui nous exploitaient, ont peur que le peuple congolais soit entièrement lié à notre pouvoir. Ils savent qu’unis, nous allons produire des miracles. En comptant sur votre intelligence, vous transformerez sur place les richesses sur lesquelles nous sommes assis depuis des années. Vous serez une nation dans le concert des autres.
La seule différence entre vous et les partis politiques, c’est que vous, vous êtes un peuple organisé, vous avez le pouvoir dans vos mains et vous voulez l’exercer. Les partis politiques cherchent encore à conquérir le pouvoir que vous, vous avez. Cette différence est très visible. Les postulants politiques veulent arracher le pouvoir que vous avez dans vos mains. Alors, c’est à vous de décider. Si vous êtes fatigués de l’avoir, donnez-le aux politiciens.
Récemment vous avez vécu des situations où le peuple congolais a acquis une maturité certaine. En dépit de la campagne hostile, le peuple congolais est resté soudé derrière le Gouvernement de Salut-Public et derrière Mzee Kabila. Le peuple entier, dans sa diversité, s’est ligué derrière Mzee. Ces millions de Congolais de tous les partis politiques ont choisi de se liguer autour de celui qui représente leurs intérêts. Ici à Kinshasa, lorsque les envahisseurs ont tenté leur coup, le peuple dans son ensemble s’est soulevé pour écraser ceux qui voulaient recoloniser le Congo. Cette unité doit être sauvegardée. Et pour sauvegarder cette cohésion forgée dans les moments difficiles, il faut organiser le peuple en le faisant participer à l’exercice du pouvoir.
La Pouvoir Populaire pour créer une économie nationale puissanteNous avons pris des mesures qui améliorent la vie de la nation. J’évoque la décision de donner au Franc congolais son cours légal sur toute l’étendue de la RDC. C’est une mesure salvatrice qui renforce le pouvoir du peuple. Tout le monde sait que la monnaie est l’un des attributs de la souveraineté d’une nation. Le pays était livré à la spéculation illimitée. Le dollar, le dollar… Ce pays était presque une colonie. Il n’avait pas de monnaie à lui. Personne au Congo ne contrÙlait la circulation du dollar. Il a fallu du courage pour y mettre fin. Les pressions intérieures étaient nombreuses: « Attention, il faut dire au Président que ça va aller très mal, si l’on chasse les cambistes de rue ». Cette décision, aussi bénéfique soit-elle, n’aurait pas été possible sans cette cohésion du peuple qui appuie le gouvernement. Maintenant le peuple congolais a une monnaie forte.
Alors, les Comités du Pouvoir Populaire, de la base au sommet, doivent protéger les mesures qui sont bénéfiques au pays, ils doivent défendre ces mesures et les appliquer.
Gouvernez votre rue, votre commune, votre villageLes Comités du Pouvoir Populaire dans les rues sont des gouvernements de rue. Lorsque se pose un problème de développement au niveau de la rue ou du village, le Comité du Pouvoir Populaire sait qu’il lui revient d’en débattre, d’en informer l’échelon supérieur. Cela ne se passera plus comme aujourd’hui, où le village n’est pas associé pour identifier ses priorités. Or, le village c’est la cellule de la nation. Nous donnons la chance au peuple d’identifier ses priorités de développement à partir du village, de la rue ou du quartier et de proposer comment il faut s’attaquer à ces problèmes, et plus encore, d’être l’exécutant de ces solutions. Donc, un Comité du Pouvoir Populaire n’est pas le comité d’un parti politique, c’est le peuple qui assume le pouvoir et qui découvre ses priorités dans tel ou tel domaine.
Nous sommes dans une ville qui a toujours été livrée à la spéculation, à la hausse des prix. Mais même le contrÙle des prix est l’affaire de ce gouvernement de la base. Le gouvernement italien donne à l’Etat congolais des denrées alimentaires. L’Etat donne le riz ou la farine de froment aux opérateurs économiques pour les vendre. Or, ils ne sont pas tous des saints, le peuple en a l’expérience. Les gens du peuple savent quel commerçant est cupide et lequel est honnête! Il faut donc faire participer les Comités du Pouvoir Populaire. C’est à la rue, au quartier, à la commune, à la ville d’indiquer les opérateurs économiques vraiment nationalistes qui feront ce que l’on attend d’eux. Et les gens de la rue veilleront sur les prix.
Et puis, une partie des dons est offerte contre le travail. Il faut que les Comités du Pouvoir Populaire disent: « Notre quartier a une mauvaise route, il n’a pas d’école, de centre de santé. (…) La commune, qui discute avec les comités des différents niveaux, dira avec précision: On va réparer telle route et les gens aptes à faire ce travail, auront une quantité de riz »… Mais que se passera-t-il si l’on fait cela avec nos anciennes habitudes bureaucratiques, sans consulter le peuple? Vous êtes bourgmestre et vous prenez d’en haut une décision. On connaît la suite: une partie de riz destinée à être échangée contre le travail, finit dans les magasins des commerçants. Et pour les travaux en question, on voit des gens venir d’ailleurs avec des voitures, ils s’arrêtent, ils manipulent un peu le petit pont et ils repartent. Et on vous dit que tout le riz est passé par là. Les Comités du Pouvoir Populaire responsabilisent le peuple afin qu’il soit concerné par tout ce qui touche à la vie de la nation et à sa propre vie.
Au niveau provincial, le Comité est un organe important du pouvoir et connaît les priorités de la province. Il exécutera le programme triennal de reconstruction. Nous voulons développer notre pays et promouvoir des échanges avec les autres pays. Mais nous empêchons la spoliation de nos richesses.
Des mesures sont prises comme la création de la Bourse des matières précieuses. Des étrangers, pour la plupart illégaux, ont investi des régions entières pour y prendre le diamant, l’or, etc. Ils les ramènent vers la capitale. Ils amassent les richesses, mais l’Etat ne voit rien. Lorsque le Comité du Pouvoir Populaire d’un village sera en présence d’un étranger, l’affaire deviendra très simple: « Monsieur que faites-vous ici? Vous n’êtes pas supposé être ici. Vous n’êtes pas Congolais, que faites-vous dans nos puits de diamant? Vous avez apporté chez nous des capitaux pour acheter du diamant. C’est à la Bourse des matières précieuses qu’il faut présenter vos dollars, pas au village ». Autrefois, c’était les liens d’amitié avec le chef du patelin qui jouaient. Chacun avait son Libanais ou autre étranger. Mais désormais, il faut qu’ils s’arrêtent à Kinshasa et que les Congolais fassent le travail à l’intérieur. Dans le cadre des Comités du Pouvoir Populaire, il y aura des départements économiques, on organisera les villageois qui ont des moyens pour acquérir des instruments et extraire le diamant, l’or ou l’émeraude. Ils pourront les vendre à Kinshasa.
Créer une industrie puissante pour nous faire respecterVos opérateurs économiques n’ont rien de capitaliste. Ils n’ont pas d’usines, nombreux sont ceux qui font du commerce, du trafic. Ils importent des poulets, des poissons. Vous pensez que le Congo peut compter sur une telle économie? Vous importez des mpiodi, vous vendez ici, après vous allez dans la rue chercher le dollar et puis vous reprenez le cycle. Mais le peuple congolais ne gagne rien. Rien du tout.
Dans le passé récent, l’Etat compradore a même empêché l’éclosion de capitalistes nationaux. Il l’a empêché parce qu’un capitaliste national allait faire concurrence aux monopoles. Ils ont tout fait pour tuer les initiatives et c’est pour cela que nous nous trouvons sans industries. Nous importons du papier, des crayons, des bics, des choses qu’on peut produire ici. Il nous faut plus de petites industries de transformation.
Nous devons créer une nouvelle économie pour notre pays. C’est l’objectif de l’Etat populaire. Moi, je voudrais voir des usines qui fabriquent des souliers. Je voudrais voir ici de grandes usines de textile. Nous importons le coton, parce que nous n’en cultivons pas. Devons-nous importer tout? Non, je crois que le moment est venu pour construire une économie nationale florissante. Les véhicules, nous devons les fabriquer nous-mêmes. Les pièces de rechange des véhicules importés, nous devons les fabriquer. Sinon, que deviendra le Congo? Vous devez tout acheter et vous croyez avoir une économie pour soutenir la guerre? Où est notre industrie lourde? C’est la mission de l’Etat du peuple, la mission de ce peuple organisé en Comité du Pouvoir Populaire de créer une forte économie pour nous faire respecter. Parce qu’aujourd’hui, il est difficile de supporter les efforts de la guerre avec cette économie qui n’existe que pour faire plaisir à ceux qui trafiquent. Donc, nous avons la mission de créer une industrie nationale. Vous voulez avoir des chars de combats, des blindés? Mais nous pouvons les produire nous-mêmes, les facilités existent dans certaines usines. Quand nous avons pris le pouvoir, c’est pour faire cela.
Notre victoire, c’est de donner le pouvoir au peuple!L’AFDL doit accepter la mutation et se transformer en Comité du Pouvoir Populaire. Ne pas se transformer, c’est aller à contre-courant de l’histoire et l’AFDL deviendrait réactionnaire, elle disparaîtrait. La grande victoire de l’AFDL, c’est de donner le pouvoir au peuple et donc de créer les Comités du Pouvoir Populaire. De quoi a-t-on peur? L’AFDL, ce n’est pas la recherche de positionnement individuel.
La lutte est encore très ‚pre. On doit entreprendre sa propre transformation sinon on est dépassé par les événements. On ne doit pas faire barrière à une révolution dont les finalités sont connues.
Nous sommes très heureux que le peuple congolais, dans son ensemble se reconnaisse dans l’action que nous avions entreprise. C’est son action. Il faut organiser le peuple de manière à ce qu’il soit responsable de ce qui se fait et c’est tout le sens de ces Comités du Pouvoir Populaire. C’est vraiment une grande révolution qui s’accomplit dans notre pays, une grande révolution populaire où le peuple n’est plus dupe.
C’est avec les Comités du Pouvoir Populaire que la possibilité matérielle de la démocratie va se réaliser. Soyez vigilants parce qu’on vous dira que nous voulons empêcher les partis politiques de jouer leur rÙle. Lorsque les vieux partis réapparaissent, ne leur permettons jamais de diviser le peuple parce qu’il sera alors difficile de défendre les intérêts du peuple.
Nous avons identifié tous nos grands maux. La chose la plus importante, c’est d’avoir une direction politique juste. Or, la direction politique doit être celle du peuple, ce sont les Comités du Pouvoir Populaire. Vous devez défendre votre pouvoir, parce que les autres n’ont pas encore désarmé. Vous assumez réellement le pouvoir dans votre pays. Au début il y a une certaine hésitation. Mais nous sommes très heureux que le peuple comprenne maintenant qu’il doit s’assumer seul, je dis bien seul.
Notre détermination d’aller jusqu’au bout est irréversible.
Nous aurons prochainement un Congrès du Comité du Pouvoir Populaire de la ville de Kinshasa et par après un grand congrès national.
Beaucoup d’Africains qui ont leurs peuples dans le cúur vous suivront, parce que vous avez du courage, vous Congolais. Je vous remercie beaucoup et à la prochaine occasion, au Congrès des Comités du Pouvoir Populaire de la province de Kinshasa!