Paris 1 mars 2003

Compte-rendu par Pascal Mundelengolo

Introduction 

Intervention du professeur Elikia Mbokolo 

Intervention du professeur Ndaywel e Nziem

Présence de l’ambassadeur Edi Angulu et interview Ludo Martens 

Une conférence sur le nouveau livre de Ludo Martens « KABILA et la révolution congolaise » a été organisé à l’université Paris VIII le 1 mars 2003. C’était à l’initiative du Bureau d’Etude Congo que Jean-Jacques Ngangweshe a présenté. Une centaine de présents ont suivi avec une attention soutenue les éminents professeurs congolais Ndaywel e Nziem et Elikia Mbokolo dont nous publions ici les interventions.

Ensuite Ludo Martens a fait un long exposé sur les lignes essentielles de son livre. Sa thèse principale était que le 2 août 1998 il n’y a eu nulle part au Congo la moindre « rébellion », mais qu’une agression flagrante a été lancée par le Rwanda et l’Ouganda, agissant sur instruction des Américains. Kagame et le State Department à Washington ont immédiatement affirmé qu’il y avait « une crise interne » et « un conflit interne » au Congo qu’il fallait résoudre par un « partage du poouvoir » en faveur des forces pro-américaines. L’opposition au nationaliste Kabila s’est divisée en une « rébellion » et une « opposition politique » qui étaient toutes les deux d’accord pour prendre le pouvoir grâce à la victoire des armées d’agression.
Kabila, en tant que véritable patriote, a appelé toute la population à la résistence et il a déclaré que ceux qui se rangent du côté des agresseurs  » ne sont pas vos frères, ce sont des traîtres ». Il a appelé à la formation d’un front de tous les patriotes pour bouter l’agresseur dehors.
Ce qui s’est passé en Afrique du Sud récemment, c’est toujours la tentative d’imposer la même ligne américaine: le Congo n’a pas été occupé, pillé et sa population génocidée, il y a eu un conflit armé interne qui doit être résolu par un dialogiue entre toutes les fractions congolaise et par un « partage du pouvoir ». Ludo Martens a affirmé que les chefs rebelles, qui ont ouvertement agi comme des marionettes du Rwanda et de l’Ouganda, ont perdu toute base dans la population qui sait parfaitement qu’elle a fait face, du Kivu jusqu’à Kinshasa à une agression caractérisée qui a été combattue non seulement par les forces armées mais par la population toute entière. Seuls les nostalgiques du mobutisme des années 1990-1997 se sont rangés du côté des agresseurs et le peuple règlera leurs comptes lors des élections à venir. (top)

Intervention du professeur Elikia Mbokolo

Je remercie Ludo pour ce « pavée ». C’est un ouvrage consistant qui va etre lu au Congo. Ludo, comme d’autres, explique comment le Congo est revenu au devant de la scène internationale. Oui, c’est grace à Mzee Kabila. A la fin de la Transition, beaucoup de compatriotes de la diaspora étaient essoufflés, découragés. Mobutu semblait trop malin et la classe politique trop pourrie. Alors: que faire? Créer un mouvement patriotique? Faire de l’entrisme dans les partis existants? Fin octobre-début novembre 1996, il y a eu un week-end à Blankenberge avec 50 Congolais. Nous avons beaucoup discuté, mais nous ne sommes arrivés à rien. Alors venait la nouvelle des événements à l’Est. Cela a clarifié les choses entre les vrais opposants et les autres…Le 16-17 mai 1997, j’étais chez des amis à Berlin. Avec des amis français, allemands, congolais nous regardions les images de CNN qui ont réconcilié les Congolais avec leur histoire: Kinshasa tombait entre les mains des vrais patriotes, c’était un spectacle incroyable. C’était quelque chose venue de l’intérieurJ’ai vu un gamin de 13 ans qui avait fait la marche de Lubumbashi à Kinshasa. C’était extra-ordinaire.Les Zairois de hier étaient redevenus des Congolais, fiers et heureux. Tous les Africains ont fait la fete dans les boites!
Puis nous avons vu à Lubumbashi comment des mobutistes opportunistes rejoignaient Kabila. C’était inquiétant. Mais Yerodia nous a dit: « C’est ce que nous avons toujours voulu faire. Le régime né du crime fondateur, l’assassinat de Lumumba, vient de tomber. Tous les vrais fils de ce pays doivent serrer les rangs! Le 17 mai 1997, nous l’avons vécu avec fierté mais aussi avec honte et mauvaise conscience parce que les intellectuels congolais n’ont pas été partie prenante.
Dans son livre, Ludo nous montre que nous avons besoin d’un changement dans la façon de voir la politique: il y a trop de passions, on est sans mémoire, sans histoire. Ludo montre que Laurent Désiré Kabila a été un véritable acteur de l’histoire congolaise.
Quand Kagame revendiquait la paternité du changement, certains ont dit: « Kabila est un lapin que Kagame et Museveni sortent de leur chapeau. Comment cela se fait que nous ne le connaissons pas? Le MPR « connaissait » uniquement les hommes politiques que lui fabriquait.
Les historiens comme Ludo remettent les personnages en lumière. Nous avons des familles, des lignées, des courants politiques qui sont différents, qui sont en conflit. On fait comme s’il n’y a pas de courants mais seulement des hommes. Non, il y a des progressistes et des non progressistes, des mobutistes et des anti-mobutistes, des révolutionnaires et des non révolutionnaires, Prétendre que les différents courants doivent gouverner ensemble est de la tromperie. A Sun City, on a mélangé tout le monde et on pense que cela va fonctionner?
Les enjeux du Congo, ce n’est vraiment pas de la blague! On n’y comprend rien, si l’on dit qu’il n’y a pas de problèmes, qu’il suffit que Bemba, et le Président et l’opposition s’entendent. Non, depuis 120 années, le Congo a toujours été l’objet de convoitise des différents impérialistes. Maintenant l’emprise extérieure se fait de façon plus subtile, puisque des Congolais sont partie prenante du système impérialiste. Je suis d’accord avec Ludo que l’Afrique du Sud a agi depuis 1996 comme un pays-relais de l’impérialisme anglo-américain. Ils prétendent que l’apartheid a disparu par consentement et que c’est un modèle pour tous: ne combattez pas, mettez-vous tous ensemble!
Or, il s’agit de combattre l’impérialisme parce que le Congo est très important dans les enjeux mondiaux. La décolonisation n’a jamais eu lieu au Congo.
Maintenant ceux qui ont l’habitude de nous dominer utilisent la paupérisation extreme pour nous couper les jambes, pour nous empecher de réfléchir. Et on nous envoie une masse de « pasteurs » qui sont souvent d’anciens mobutistes. A cause de la paupérisation, les intellectuels fuient le pays, ce qui affaibli encore nos forces. Et des puissances extérieures affaiblissent encore l’Etat déjà faible – à l’Est, pour téléphoner, on passe par Kigali…
Oui, comme le dit le livre de Ludo, la révolution congolaise est d’actualité Mais est-ce que nous sommes d’accord sur la définition de la révolution?
Je crois qu’il s’agit d’abord d’affirmer que nous voulons vivre ensemble, que nous combattons le régionalisme et le tribalisme et les tentatives de séparatisme inspirées de l’extérieur.
Ensuite, il faut rompre avec cette notion de communauté internationale, comme s’il s’agit d’un juxtaposition d’Etats, alors qu’il s’agit d’un système hiérarchisé. Les patriotes sont décidés à rompre le lien entre le Congo et l’impérialisme. Nous voulons un Etat souverain et Ludo a écrit un très bon chapitre sur l’économie souveraine.
Trois, nous voulons une Afrique différente, l’Afrique de Lumumba, Mulele et Kabila, mais aussi de Kimpa Vita et de Kimbangu. En ce qui concerne la lutte de libération, je n’ai pas d’objection à ce que le Rwanda, l’Ouganda, l’Angola et le Zimbabwe nous ont aidé. Lorsque la France était occupée, elle a également reçu le soutien d’autres pays.
Finalement, le livre affirme la continuité du combat de Lumumba à Mulele et Kabila. La question se pose, si nous acceptons cette continuité, que devons-nous avancer sur les plans politique, culturel, économique, social?
Pour terminer, si je compte les points, il y en a cinq dont un seul est positif.
L’épopée Kabila a prouvé que le peuple congolais existe. Kabila est une ressource d’inspiration considérable qui fera échouer les entreprises pour désarmer le peuple par la division ethnique ou par le discours religieux tenu par les anciens mobutistes.
L’histoire de la révolution congolaises est parsemée par des martyrs. Les trois grands: Lumumba, Mulele et Kabila ont été assassinés. Quelles sont les causes qui font que nos dirigeants nationalistes soient victimes d’assassinats?
Dans le domaine de l’organisation, le MNC-L était faible et a éclaté en mille morceaux, le PSA n’a guère fait mieux, le PRP avait des clivages qu’il n’a jamais surmonté. Quel est le problème? Pourquoi avons-nous tant de mal à nous organiser sérieusement?
Quatre: nous avons un problème avec les élites congolaises, nous avons, de Bombako à Olengnkoy, une classe politique malfaisante. A Sun City, ceux qui gouvernent l’Afrique du Sud ont rentabilisé leurs hotels les plus luxueux en y logeant ceux qui prétendent vouloir gouverner le Congo. Ils ont fait preuve d’une petitesse d’esprit incroyable.
Cinq: depuis l’assassinat de Laurent Kabila, nous tous, nous nous sommes beaucoup interrogés. Face à ceux qui sont devant nous, il ne sert à rien de clamer ce que nous voulons. Faisons ce qui est nécessaire sans faire du bruit. Joseph est prudent. Disons qu’il y a toujours une chance que lae camp patriote triomphera. En effet, tous les collabo’s ont peur de venir à Kinshasa. Leur grand problème est leur « sécurité ». Ils savant que le peuple ne veut pas d’eux. Et face à ces vieux dinosaures, il y a une « opposition » dite politique et de la société civile. Ils ont raté le tram mobutiste et ils comptent arriver à la meme destination par le nouveau tram. Parlent de tout ce monde animal, Yerodia a dit que ce n’est pas un panier de crabes. Les crabes, on peut les manger. Non, nos politiciens ce sont des bêtes sauvages devant lesquels les carnassiers fuiraient de frayeur… Donc, je ne crois pas que la solution néocoloniale planifiée par Mbeki peut réusir chez nous au Congo.(top)

Intervention du professeur Ndaywel e Nziem

Je félicite les organisateurs parce qu’ils nous donnent l’occasion de réfléchir ensemble sur notre pays.
Je suis un grand lecteur de Ludo Martens et j’estime que son livre Abo, une femme du Congo est un document extra-ordinaire.
Je lui dit merci pour trois raisons.
D’abord pour son engagement pour le Congo. Vous avez senti son érudition lorsqu’il a cité de mémoire toutes ces dates, tous ces noms, toutes ses personnes qu’il a côtoyer depuis 1997.
Je le remercie pour les efforts qu’il fait pour que les Congolais prennent en charge leur propre mémoire. Un peuple qui ne prend pas en charge son propre histoire ne peut difficilement progresser. Dans son livre, il a fait une synthèse de l’histoire congolaise récente. Or, cette histoire s’inscrit dans un contexte. Le Congo est un grand enjeu, il faut en avoir conscience!
Je le remercie aussi pour aider le peuple congolais à retrouver confiance en soi-même. Il montre que si l’histoire récente est douloureuse, les actions entreprises pour faire éclater le Congo ont échoué. Lorsque le peuple lira dans ce livre ce qui s’est passé réellement, il dira: Nous l’avons toujours pensé, il y a un complot contre nous…
L’environnement du moment restitue bien cela. Kabila et la Révolution Congolaise peint un contexte qui me rassure et cela constitue un fait nouveau. Il y a des vérités qui commencent à s’imposer. J’ai fait une lecture croisée des livres de Ludo et de Colette Braeckman. Ils sont complémentaires, il y a un même ton nouveau. Puis il y a le livre de Gauthier de Villers sur les 30 derniers mois de Laurent Kabila qui est une préambule aux ces deux livres.
Je veux souligner certains aspects du livre de Ludo. Il y a de nombreux témoignages d’acteurs du terrain, de grandes personnalités comme Munene et Yerodia en passant par des cadres intermédiaires comme Jean-Jacques Ngangweshe et Longa Fo jusqu’aux simples militants dont certains que j’ai connus moi-même.
La période combien douloureuse du mois d’août 1998 est restituée dans toute sa vérité, notamment les déclarations faites par Yerodia lors de l’attaque contre Kinshasa. Le livre contient de nombreuses déclarations officielles et officieuses extérieures qui sont difficile d’accès pour les Congolais, il y a des informations sur ce qui se disait aux Etats-Unis et au Rwanda qui sont inédites. J’ai été étonné d’apprendre que le Soudan a sauvé Kinshasa vers le 15 août, lorsque deux grands navires de guerre faisaient route vers Kinshasa pour attaquer la ville. A ce moment les Américains ont donné priorité au combat contre Karthoum où ils ont bombardé une usine pharmaceutique… (top)

Présence de l’ambassadeur Edi Angulu et interview Ludo Martens

Jean-Jacques Ngangweshe, qui a travaillé plusieurs années comme cadre de l’AFDL, puis au Secrétariat général des CPP, a salué chaleureusement l’ambassadeur congolais, Edi Angulu, qu’il a bien connu à Kinshasa.
L’actuel ambassadeur à Paris avait déjà rencontré Ludo Martens début des années quatre-vingt.
Ayant trouvé à Paris le livre « Kabila et la Révolution Congolaise », il a écrit un mot à l’auteur : « Cher Ludo, merci pour ton magnifique livre avec lequel je passe de beaux moments ».
Nous avons interrogé Ludo Martens à la fin de la conférence et il nous confia ceci.
« Je suis content d’être ici à Paris et d’y retrouver trois amis que j’ai connus à Kinshasa dans des circonstances particulières. J’étais arrivé à Kin en juin 97 et, avec des camarades, nous avons immédiatement commencé à préparer la première commémoration de l’assassinat de Pierre Mulele. A l’époque, c’était un combat très rude. Mais le 3 octobre 1997, il y a eu pour la première fois dans l’histoire deux rassemblements dans la Salle du Zoo pour rendre hommage au grand révolutionnaire nationaliste sauvagement assassiné. Ce n’était pas évident à l’époque, parce que Mobutu a mené une véritable guerre psychologique pour imposer l’idée mensongère que Mulele a été un bandit, un homme sauvage et inculte, un tueur…
Je me rappelle que quelques ministres sont venus à la commémoration, entre autres Jean-Baptiste Sondji, Mova Sakani, Kinkela vi Kansy… Mais c’est Edi Angulu qui, en sa qualité de ministre de Mzee Kabila, a prononcé un discours d’hommage à Pierre Mulele!
Puis, neuf mois plus tard, la troupe Le Théâtre des Associés, qui regroupe des professeurs et quelques élèves de l’Institut National des Arts, a fait l’avant-première de la pièce sur Mulele « Le Léopard et le Clochard ». C’est une pièce que j’ai écrite sur les conseils de mon ami Norbert Mikanza Mobyem, la grande figure du théâtre congolais à l’époque.
L’avant-première a eu lieu le 13 juillet 1998, sans qu’il y ait la moindre raison historique pour le faire ce jour-là. C’est comme si nous avions pressenti le drame qui allait se produire deux semaines plus tard : l’agression des armées rwandaise et ougandaise sous instructions américaines…
Je me rappelle bien qu’un grand nombre de personnalités politiques ont assisté à cet événement : j’ai un souvenir très précis de la présence d’Elikia Mbokolo et de Ndaywel e Nziem, de Kazadi Nyembwe et de quelques autres… Elikia Mbokolo, Ndaywel e Nziem et Edi Angulu ont fait beaucoup pour que le peuple congolais se rende compte que Mulele a été le chaînon capital entre Lumumba et Mulele. Ces trois amis seront reliés en 2001 par Abdoulaye Yerodia Ndombasi qui présidera le 5 octobre 2001 la première commémoration officielle de Pierre Mulele dans l’histoire du Congo… Yerodia déclara alors que Lumumba, Mulele et Kabila forment les trois chaînons inséparables du nationalisme congolais… »